Une expérimentation pluridisciplinaire
Certaines opérations en conservation-restauration des grès de la cathédrale de Strasbourg consistent à réaliser des reconstitutions en mortier avec un quadruple objectif :
- préserver et conserver les éléments architecturaux mis en œuvre ;
- protéger l'épiderme du grès au moyen d'un « pansement » réversible en mortier ;
- retrouver une certaine lecture ;
- mettre en œuvre ce mortier en trompe-l'œil, c'est-à-dire en imitant le plus précisément possible le matériau grès avec ses nuances, ses particularités et surtout ses aspects de taille, témoins de l'histoire du façonnage du grès par les artisans.
Mathieu Baud et Jonathan Waag, chargés des opérations de conservation sur la cathédrale de Strasbourg, souhaitaient améliorer leurs interventions par l'adaptation des outils de taille et de sculpture à la matière.
Le défi était également de respecter les aspects de taille d'origine sur les reconstitutions (impacts et marques identiques), éviter de fragiliser celles-ci par l'usage d'outils en métal (à percussion lancée adaptée pour la taille de pierre), gagner du temps de mise en œuvre (ne pas attendre le durcissement complet du mortier) et si possible de conserver le geste et la technique de l'artisan.
L'idée était donc de trouver une alternative plus légère et moins dense à ces outils traditionnels mais aussi aux divers subterfuges employés jusqu'alors (brosses, règles, etc.).
Historique des essais préliminaires et des différentes étapes du processus
- Partenariat avec l'Institut National des Sciences Appliquées (INSA) et le service Systèmes d'information télécom et réseaux (SSITR) de l'Eurométropole de Strasbourg
La solution d'impression des outils en 3D a émergé rapidement et les partenariats de longue date entre la Fondation de l'Œuvre Notre-Dame, l'INSA et le SSITR ont permis la concrétisation du projet.
Samuel Guillemin (INSA) a numérisé le duo d'outil laie plate/laie dentée grâce à un bras Faro Edge et aux logiciels 3D Reshaper (Technodigit) et Cloud Compare pour l'association des différents nuages de points. Barbara Zenou (SSITR) a ensuite traité le modèle 3D avec le logiciel 123D Design, dessiné le support pour que la pièce puisse s'imprimer correctement et imprimé la toute première version de ces laies « nouvelle génération » sur imprimante 3D Ultimaker 2 (et logiciel intégré CURA version 15). Le matériau utilisé pour cette version est de l'acide polylactique (PLA), polymère issu de l'amidon de maïs, entièrement biodégradable.
L'équipe conservation a réalisé les premières expériences en atelier, notamment sur des éléments exposés lors des visites. Il s'agissait de créer une reconstitution complète en mortier à base de chaux et de silicate avec patines (oxydes naturels dilués dans de l'eau, pour la finition du trompe-l'œil) et aspects de taille (laie dentée).
Les seconds essais ont eu lieu sur le chantier de conservation-restauration du bras sud du transept. La procédure a été ainsi validée par l'Architecte en Chef des Monuments Historiques.
Un outil innovant
La Fondation a été lauréate du concours interne des projets innovants de l'Eurométropole de Strasbourg (février 2016) et a reçu le 3e prix sur une sélection de 30 projets.
De nouveaux outils dans l'escarcelle des conservateurs
Partenariat avec le service Géomatique et connaissance du territoire (GCT) de l'Eurométropole de Strasbourg
La mise en œuvre de cette nouvelle pratique s'est avérée très concluante. L'équipe conservation a dès lors souhaité compléter sa boîte à outils du XXIe siècle.
Jérémy Litolff (GCT) a choisi de modéliser l'outil avec le logiciel Rhinoceros 5.0, tout d'abord sur le duo laie plate/laie dentée pour comparer les techniques (modélisation/numérisation et qualité d'impression) puis sur la polka.
Il a réalisé le paramétrage de la pièce grâce au logiciel KISSlicer et l'impression sur l'imprimante 3D professionnel 3ntr A4 v3. L'acrylonitrile butadiène styrène (ABS) est le matériau qui s'est avéré le plus adéquat. En effet, il est bien plus résistant à l'usage et flexible que le PLA.
Le coût d'une bobine d'ABS est d'environ 30 euros ; très peu de matière est nécessaire pour la réalisation de l'outil. Hormis le coût en temps lié à l'impression (24h pour la Polka) et le coût de la modélisation, l'opération est toutefois rentable économiquement car elle permet aussi de gagner du temps à la mise en œuvre tout en évitant d'altérer prématurément le mortier et, en respectant l'historicité de l'édifice au travers des aspects de taille.
Techniques et approches mises à l'honneur
Le développement de l’outil 3D, l’approche en conservation-restauration et les techniques en trompe l’œil associées ont fait l’objet de trois conférences :
- LACONA XII à Paris le 14 septembre 2018 : Mathieu Baud (présenté par Martin Labouré) : The singular use of the laser for the creation of new tools adapted to technique of stone conservation
- Salon International du Patrimoine Culturel le 28 octobre 2018 : Mathieu Baud (avec José Soares/ECP) : La conservation-restauration du mur pignon de l’élévation sud du bras sud du transept de la cathédrale de Strasbourg : ou comment retrouver la lecture et la fonctionnalité des cadrans solaires tout en préservant le maximum des matériaux présents
- La conférence MATÉRIAUX 2018 à Strasbourg le 19 novembre 2018 : Mathieu Baud : À la recherche d’une méthodologie de la préservation d’objets complexes - Le cas de la cathédrale de Strasbourg