Face à la menace du changement climatique sur la préservation des Monuments historiques, l’intelligence artificielle est désormais mise à profit pour surveiller et prédire leurs dégradations. Cette approche innovante, appliquée à trois sites historiques emblématiques, permettra d’anticiper les altérations à venir et d’adopter des mesures préventives adaptées.

Les objectifs de la thèse

Selon le rapport de 2022 de Kishore Rao pour l’UNESCO World Heritage Centre sur le Changement climatique et le patrimoine mondial, l’intensification des variations climatiques réduit la durée de vie des monuments, en raison d’un déséquilibre thermohygrique (chaleur et température & eau et humidité) au niveau du sol et de l’atmosphère.

La thèse d’Adèle Cormier vise à rassembler l’ensemble des données climatiques (variations de températures, d’humidité, de point de rosée, etc.) et physicochimiques (apparition de dégradations de surface, modification des propriétés de la pierre, etc.) à l’échelle d’un monument, en tenant compte du microclimat extérieur et intérieur. Les données collectées seront exploitées par des méthodes d’apprentissage automatique. Les trois sites et matériaux sélectionnés pour être instrumentés sont les grès de la flèche de la cathédrale de Strasbourg (67), les granites du site archéologique de Bibracte (58) et les fresques de la chapelle Cocteau à Villefranche-sur-Mer (06). 

Les quatre phases de la thèse, crédit : Adèle Cormier
Les quatre phases de la thèse, crédit : Adèle Cormier

L’état de dégradation des monuments sera évalué sur la base d’un indice d’altération, construit selon une liste établie de critères et de limites de détérioration afin de prédire la variation de l’altération dans le temps.

La Fondation de l’Œuvre Notre-Dame accompagnera Adèle Cormier sur l’étude de la flèche de la cathédrale. Le projet est séquencé en 5 étapes : 

  • Étude du site et de son climat
  • Suivi microclimatique
  • Définition d’un modèle de détérioration
  • Modélisation des futures dégradations
  • Adoption d’un plan d’actions préventives face aux risques

Le contexte scientifique

Impact du réchauffement climatique en France, crédit : GIEC (rapport AR6)
Impact du réchauffement climatique en France, crédit : GIEC (rapport AR6)

Selon le rapport AR6 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le changement climatique aura de graves conséquences d’ici 2100. Les températures moyennes pourraient augmenter de 1,4 à 5,8°C, entraînant une augmentation des extrêmes de températures, des précipitations plus intenses et des sécheresses plus sévères. Les événements climatiques rares deviendront plus fréquents et plus intenses, tandis que le niveau des mers devrait augmenter de 0,09 à 0,88 m, menaçant les zones côtières et les îles.

Ces effets impactent d’ores et déjà le matériau hétérogène qu’est le grès de la cathédrale de Strasbourg. Les précipitations, les vents, les pollutions altèrent les grès, processus aggravé par les cycles d’imbibition-séchage : désagrégation, fissures, desquamation par plaques, récession de surface (perte de matière), efflorescences, altérations biologiques.

Méthodologie de suivi des altérations

Schéma : Instrumentation de la face sud-est de la flèche, crédit : Adèle Cormier
Schéma : Instrumentation de la face sud-est de la flèche, crédit : Adèle Cormier

L’étude portera sur les grès de la flèche, avec une collecte de données sur deux ou trois expositions différentes des façades.
Un suivi climatique continu sera assuré grâce à un réseau de capteurs et de sondes : pluviomètres, anémomètres et hygromètres afin de mesurer avec précision l’humidité relative, la température, la teneur en dioxyde de carbone, associé aux données météorologiques satellitaires.

Tous les trois à six mois, des relevés par imagerie (lumière directe, rasante, fluorescence UV, infrarouge) et par caméra thermique ainsi que des analyses chimiques pour déterminer notamment les teneurs en eau et en sels solubles, viendront compléter ce suivi.

Cette approche multimodales (photographies, spectres, analyses chimiques, cartographies, etc.) conjuguée à l’intelligence artificielle et à une expertise pluridisciplinaire, permettra de dresser un état des lieux exhaustif des pathologies des grès de la flèche de la cathédrale, et de proposer un modèle prédictif des altérations futures.

Les partenaires du projet doctoral

  • Doctorat CIFRE au sein du laboratoire EPITOPOS et de l’école doctorale de Paris Cergy.
  • Adèle Cormier, doctorante diplômée en chimie des matériaux du patrimoine à l’ENSCP (École Nationale Supérieure de Chimie de Paris).
  • Partenaires du projet : ETIS (Équipe Traitement de l’information et système) Cergy Paris Université, C2RMF (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France), CICRP (Centre Interdisciplinaire de Conservation et de Restauration du Patrimoine), MESCLA Patrimoine, Fondation des sciences du patrimoine.
  • Accompagnement spécifique pour la cathédrale de Strasbourg : Fondation de l’Œuvre Notre-Dame – Atelier de conservation, DRAC Grand Est et UDAP du Bas-Rhin.

Ce projet novateur, représente une formidable opportunité pour repousser les frontières des connaissances. Les avancées et les résultats des travaux d’Adèle Cormier et de l’équipe pluridisciplinaire seront partagés ici, sur le blog, tout au long des trois années que durera sa thèse doctorale.