En 1015, Strasbourg est une ville du Saint-Empire romain germanique. L'empereur Otton 1er a conféré à l'évêque depuis 873, la pleine juridiction sur la ville et le droit de battre monnaie. L'évêque Werner 1er de Habsbourg commence l'édification d'une nouvelle cathédrale avec le soutien du roi et futur empereur Henri II. Elle deviendra l'une des plus grandes cathédrales de l'époque.
Les influences réciproques
La cathédrale de Werner puise son inspiration dans le style ottonien. Elle influencera entre autres le plan et les techniques de construction de l'église de Limburg-an-der-Haardt et le chevet de Sainte-Marie de Mittelzell sur l'Île de la Reichenau. Les fresques de l'église Saint-Georges d'Oberzell sur l'Île de la Reichenau sont sans doute similaires à celles qui se trouvaient dans la cathédrale de Strasbourg à la même époque.
Les influences sont diverses, Strasbourg imite à son tour la crypte de la cathédrale de Spire. Elle se dote, après l'incendie de 1136, d'une façade à deux tours dont le profil évoque celui des églises de Murbach ou Marbach.
En 1180, le maître du chœur prend pour modèle Worms. Entre 1196 et 1210, c'est à nouveau Spire, qui devient la référence du nouvel architecte pour la conception du bras nord du transept. Toutefois, la construction de la première voûte d'ogive montre que ce maître d'œuvre connaissait les chantiers contemporains des cathédrales d'Île-de-France.
La cathédrale de Strasbourg entre dans la « modernité » du nouveau style qui sera, au XIXe siècle appelé gothique.
Une toute nouvelle équipe prend le relais vers 1210-1220 pour la construction du bras sud du transept. Maître d'œuvre, tailleurs de pierre et sculpteurs arrivent très certainement des chantiers de Champagne et d'Île-de-France. La force créatrice et architecturale de cette époque est symbolisée par le Pilier des Anges.
En 1277, la construction du nouveau massif occidental commence. Après s'être inspirée des cathédrales d'Île-de-France Strasbourg devient une référence grâce à son projet de façade innovante (le dessin dit « B »).
Les architectes du Saint-Empire se succèdent
Erwin dit de Steinbach (maître d'œuvre de 1284 à 1318) marquera la construction du massif occidental par la création d'une façade en rideau. Johannes (m.o. 1319-1339) poursuit l'œuvre de son père Erwin dont la construction de la grande rose.
On doit la conception de la chapelle Sainte-Catherine au neveu d'Erwin, Gerlach (m.o. 1339-1371). La cathédrale Saint-Guy de Prague fera siennes l'architecture particulière des voûtes d'ogives de la chapelle et la clé de voûte pendante. Cette dernière sera aussi reprise sur le Palais des Papes d'Avignon.
Entre-temps, la Grande peste de 1349 ravage les rangs des artisans et provoque la disparition d'un outil utilisé de 1150 à 1349 sur la cathédrale : la polka, qui était plutôt employée pour la taille de pierre tendre d'autres régions.
En 1371, la cathédrale prend l'aspect de la cathédrale de Notre-Dame de Paris avec ses deux tours de la façade.
Michel de Fribourg entreprend la construction du beffroi, il est achevé en 1399 par Klaus de Lohr.
La cathédrale de Strasbourg arrive à un moment charnière de sa construction. Elle a l'ambition de dépasser en hauteur ses consœurs de Fribourg, Ulm, Cologne, Vienne et Ratisbonne. Cette tâche sera attribuée à Ulrich d'Ensingen.
Le maître d'œuvre est réputé pour ses chantiers des églises d'Ulm et de Notre-Dame d'Esslingen près de Stuttgart et de la cathédrale de Bâle. Il est aussi consulté pour la construction du Dôme de Milan.
Il entreprend alors la construction de l'octogone de la haute tour. Les sculptures sont fortement influencées par le style de bohème et en particulier de l'art pragois. Prague est à cette époque un centre artistique où convergent de nombreux artisans. Jean Hültz achève la flèche en 1439. Elle culmine à 142 m et devient le plus haut monument en pierre d'Europe, à des milliers de kilomètres de Strasbourg la pyramide de Khéops affiche toujours 146 m.
L'itinérance des artisans et des maîtres d'œuvre
Les livres de comptes du début du XVe siècle du chantier de la cathédrale livrent quelques informations sur l'itinérance des bâtisseurs. En effet, ceux-ci travaillent d'un édifice à un autre selon l'importance du chantier ou encore de la saison. De même, le Livre de bourgeoisie strasbourgeois liste entre autres les origines des tailleurs de pierre, sculpteurs, parliers et maîtres d'œuvre. Ils viennent de la région rhénane, du Danube, de Rhénanie, de Lorraine, de Suisse, de Souabe, de Franconie ou encore de Thuringe.
Les architectes, constructeurs ou restaurateurs, qui suivront ne feront pas exception à la règle et poursuivront cette tradition d'influences mutuelles et d'échanges. Hans Hammer a œuvré en Hongrie avant d'arriver à Strasbourg, Jost Dotzinger est né à Worms et a fait ses débuts à Bâle et plus tard la Renaissance italienne inspira Hans Thomann Uhlberger pour la création de l'horloge astronomique.
En 1681, Strasbourg devient française.
La cathédrale verra ensuite se succéder Joseph Massol qui conçoit la sacristie et le facteur d'orgues Andreas Silbermann né en Saxe.
Au XVIIIe siècle, l'architecte du roi Louis XV Jacques-François Blondel restaurera la tour de la croisée du transept et Jean-Laurent Goetz originaire du Pays de Nassau créera les arcatures néo-gothiques qui porteront son nom.
Au XIXe et XXe siècle, le Strasbourgeois Gustave Klotz donnera à la tour de la croisée du transept son aspect d'aujourd'hui et les architectes de Cologne Ludwig Arntz et Johann Knauth entreprendront des chantiers de restauration d'ampleur.
Ce dernier a d'ailleurs sauvé la cathédrale en consolidant le pilier qui soutient la haute tour et la flèche.
Johann Knauth est pourtant mort dans l'indigence (en 1924) car il ne souhait pas changer de nationalité après la guerre.
De nombreux aléas ont marqué la cathédrale de Strasbourg, dans sa construction et dans son histoire. Elle est cependant devenue un monument emblématique et a su tirer parti de la diversité d'origines de ses maîtres d'œuvre et de ses artisans. Elle s'est aussi inspirée de ses consœurs européennes et les a inspirées à son tour.
De nos jours, la Fondation de l'Œuvre Notre-Dame s'attache à poursuivre les échanges avec d'autres professionnels de la conservation-restauration. Des rendez-vous comme ceux organisés par l'Association des architectes de cathédrales (Strasbourg, Cologne, Fribourg, Bâle, Milan, Trondheim, Vitoria, etc.) sont des moments essentiels au partage d'informations et de techniques pour pérenniser les édifices pour lesquels nous travaillons.
Sources
- Bâtisseurs de cathédrales, édition La nuée bleue, 2014
- Bulletin des Amis de la cathédrale, n°30, 2014