Les maîtres d’œuvres médiévaux ont laissé leurs noms dans l’histoire grâce aux prouesses techniques de leur construction. Les tailleurs de pierre eux, nous ont légué de très nombreuses marques, les signes lapidaires ainsi que de multiples traces de l’édification de la cathédrale. Ces empreintes humaines sont une forme de langage qui fait partie intégrante du patrimoine de la cathédrale de Strasbourg.

Les signes lapidaires

Les signes lapidaires sont des symboles gravés à la surface de la pierre par un tailleur de pierre.

Marque de tâcheron (marque des tailleurs de pierre)

Une marque de tâcheron est un signe lapidaire qui tient lieu de signature. Utilisé à la cathédrale de Strasbourg dès le XIIe siècle, le tâcheron sera employé jusqu’au XVIIIe siècle. Chaque tailleur de pierre possédait sa propre marque qui lui était sans doute attribuée par le maître d’œuvre (architecte) à la fin des quatre à cinq années d’apprentissage.

Les marques de tailleurs de pierres peuvent avoir diverses formes : géométriques, curvilignes ou cruciformes, représenter des lettres, des monogrammes ou des objets divers (feuilles, outils, etc.). Leur taille varie selon les époques de construction.

Réalisées spontanément au XIIe siècle, elles deviennent de plus en plus appliquées au cours des siècles suivants, jusqu’à devenir de remarquables signes de reconnaissance à la Renaissance, les marques de tailleurs de pierre de l’escalier à vis conçu par Hans Thoman Uhlberger (vers 1580) de la maison de l’Œuvre Notre-Dame en sont le parfait exemple.

Les marques servaient probablement à la rémunération des tailleurs de pierre qui étaient payés à la tâche. Or, à la cathédrale de Strasbourg les œuvriers étaient payés dès le XIVe siècle à la semaine (mentionné dans les livres de comptabilité conservés à la Fondation), ce qui laisse supposer que les marques constituaient ici, uniquement des signatures.

Les tailleurs de pierre devenus maîtres d’œuvre arboraient leur marque sur un écu ou un blason (attesté à partir du XVe siècle), souvent apposée sur les pièces maîtresses telles que les clefs de voûte ou à côté de leur figuration sculptée.

L’étude des marques de tâcherons permet de déterminer les étapes de construction d’un monument et d’éventuellement établir des liens entre différents chantiers (certaines marques se retrouvent sur plusieurs bâtiments). Il est également possible d’évaluer le nombre de tailleurs de pierre qui ont œuvré pendant une période donnée.

Marque de positionnement, bras sud du transept, crédit : F.OND
Marque de positionnement, bras sud du transept, crédit : F.OND

Marque de positionnement

Les marques de positionnement ou signes de position se distinguent des marques de tâcheron. Elles sont de simples signes (chiffres, lettres ou formes géométriques) qui indiquaient aux maçons le positionnement ou l’ordre de pose des pierres sur le chantier.

Ces signes servent aussi à la pose des sculptures afin d’éviter des erreurs d’emplacement. On en trouve de beaux exemples sur les portails de la cathédrale de Reims.

Trace de pose (levage des blocs de pierre)

Soulever un lourd bloc de pierre et le mettre en place n’était pas toujours chose facile à bras d’homme. Les bâtisseurs utilisaient donc différents engins comme la grue à cage d’écureuil pour les travaux de levage, la chèvre ou le treuil  pour la pose.

Selon la forme de la pierre, les machines de levage étaient équipées d’outils en fer appelés louve (système à goupille) ou griffe (pince courbe et pointue).

Autres traces archéologiques

Trou de louve

Il s’agit d’un trou en queue d’aronde taillé au centre du lit d’attente de la pierre. La louve de forme conique se bloque avec des goupilles sous l’action de la traction. Souvent caché dans la maçonnerie, le trou n’est visible que lors de travaux de dépose. Toutefois il peut être apparent par exemple sur le dessus des marches d’escaliers d’origine.

Trou de griffe

Les tailleurs de pierre creusaient un trou de part et d’autre du centre de gravité de la pierre pour assurer la prise de la griffe. Ces nombreux trous sont encore visibles sur la cathédrale de Strasbourg, particulièrement sur les parements des contreforts, les façades ouest et est de la chapelle Sainte-Catherine.

Trou de boulin

Il s’agit de trous carrés qui se remarquent par leurs alignements rythmés sur les façades et contreforts de la cathédrale. Ils se présentent sous forme d’ouverture (12 x 12 cm de côté dans l’épaisseur de la maçonnerie pouvant aller jusqu’à 1 mètre) destinée à recevoir les boulins. Ces pièces de bois horizontales traversent la maçonnerie et supportent le plancher de l’échafaudage. Ils sont mis en place à mesure que la construction s’élève. Aujourd’hui afin que les pigeons ne puissent y nicher, la cavité est obturée par un bouchon de pierre.

Aspect de taille

Une empreinte peu connue et très personnelle du tailleur de pierre est à observer sur les différentes surfaces des pierres ouvragées. Appelée : aspect de taille (trace d’outils qui résulte du façonnage de la pierre), elle peut révéler à qui sait le lire les différentes étapes de taille, les outils employés, la dextérité et la préférence manuelle (droitier ou gaucher) du tailleur de pierre.

Aspect de taille dit « décoratif »

À partir du XVe siècle les tailleurs de pierre parachèvent leur travail en exécutant une finition dite « décorative » et obtiennent ainsi un aspect ciselé, relevé finement, charrué.

Lecture d’un aspect de taille pour la datation d’une pierre

Il est possible de dater un élément par l’observation de son aspect de taille. En effet les outils à main employés par les tailleurs de pierre ont changé avec l’avancée de la construction. Pour citer un exemple, prenons le cas d’un parement présentant des marques de charrue (outil utilisé au XVIIIe siècle). Il ne peut pas être confondu avec un original du XIIIe siècle.

Nos empreintes

Pour chaque chantier de conservation-restauration, la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame élabore dès les études préparatoires un inventaire des marques de tâcherons qui est complété, après la mise en place de l’échafaudage, d’un relevé in situ de toutes les marques (cartographie, relevé à l’échelle de chaque marque, documentation photographique).

De plus lorsqu’une pierre à changer comporte une marque de tâcheron, celle-ci est soigneusement reproduite à l’identique sur l’élément à remplacer afin d’en garder la trace historique.

Aujourd’hui dans le cadre d’un changement en copie, les tailleurs de pierre ont la liberté de graver leur marque sur une des faces cachées dans la maçonnerie.

Lors des travaux de restauration de la façade ouest du bras de transept sud et des deux tourelles superposées (à l’angle du mur gouttereau de la nef et du mur ouest), l’équipe de pose a glissé à l’intérieur du couronnement de la tourelle heptagonale une boîte contenant des fiches de taille, le plan de pose, des pièces de monnaie ainsi qu’une bouteille. Un témoignage destiné aux restaurateurs et chercheurs du futur.

Clocheton présenté au sommet de l’OTAN 2009, crédit : F.OND
Clocheton présenté au sommet de l’OTAN 2009, crédit : F.OND

La Fondation de l’Œuvre Notre-Dame a commémoré par une inscription, l’accueil du sommet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à Strasbourg et la visite des conjoints des chefs d’État aux ateliers de la cathédrale, le 4 avril 2009. Cette inscription visible de l’intérieur est gravée en sous-face du couronnement monolithe de la tourelle octogonale. Le texte de la gravure est « Clocheton présenté au sommet de l’OTAN 2009 ».

Marque lapidaire, tour nord, crédit : F.OND
Marque lapidaire, tour nord, crédit : F.OND

Le clin d’œil des bâtisseurs

Nos prédécesseurs nous ont aussi laissé des traces particulières, tels des clins d’œil adressés aux générations futures.

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