La flèche

La flèche

Symbole d'un extraordinaire exploit architectural, la flèche de la cathédrale de Strasbourg du haut de ses 142 mètres a connu cinq années de soins dont trois années d'études pour relever ce défi : conserver et restaurer l'ensemble des matériaux qui la compose et assurer une intervention durable.

Construction, reconstruction et restaurations passées

La flèche qui couronne la haute tour est achevée en 1439 par le maître d'œuvre Jean Hültz de Cologne. C'est alors le plus haut monument de la chrétienté et le restera jusqu'au XIXe siècle.

Vue de la ville de Strasbourg (Chronique universelle de Hartmann Schedel, 1493Cet élan vers le ciel n'est pas sans danger. En 1488, la foudre frappe une première fois la flèche et occasionne des dégâts qui nécessitent la dépose de la statue de la Vierge qui la couronnait (d'après "la petite chronique de la cathédrale", n°56). Ce scénario va se répéter jusqu'en 1835 et cessera avec l'installation d'un paratonnerre :

  • au XVIesiècle, s'ensuit un incendie qui nécessite d'importants travaux
  • au XVIIe siècle, l'architecte Johan Georg Heckler met en œuvre d'importantes restaurations
  • le 15 septembre 1759, une partie de la pyramide du lanternon est détruite et quatre années de travaux s'ensuivent

 

Le 3 août 1728, un tremblement de terre endommage la haute tour, le 10 septembre 1751 la partie sommitale de la flèche s'effondre, occasionnant de nombreuses détériorations. Plusieurs années sont nécessaires pour réparer les dégâts.

Dessin pour la restauration de la flèche, 1870

 

En 1870, c'est la guerre qui affecte la flèche de la cathédrale par des tirs d'obus qui touchent la croix, la restauration et la consolidation de sa base sont effectuées la même année. Les autres travaux de réparation et de remise en état de l'ornementation sont accomplis entre 1875 et 1878.

Exposée aux affres des intempéries et aux agressions des polluants de l'ère industrielle, la flèche nécessite des travaux réguliers de restauration et de réfection, notamment depuis le XXe siècle.

 

Partie sommitale de la flèche restaurée, 1930

En 1928, l'Architecte en Chef des Monuments Historiques (ACMH) Robert Danis, engage une importante campagne de travaux sur la partie supérieure de la flèche (lanternon et croix). Elle est suivie par la restauration de 1930 à 1932 des galeries, des arêtiers et escaliers tournants situés entre la base de la flèche et le lanternon. La mise en place d'une ossature en béton armé composée de huit poteaux et de trois ceintures afin de renforcer la partie haute de la flèche, constitue une nouveauté technique.

Renfort en béton armé, 1930Pour les festivités des 500 ans de l'achèvement de la flèche, on démonte en juin 1939 l'échafaudage qui l'entoure. La menace grandissante de la guerre pousse à la prudence et le projet de remettre l'échafaudage en place est abandonné. L'ACMH Bertrand Monet reprendra les travaux de restauration de la partie inférieure de la flèche de 1947 à 1964. En 1972, les éléments en grès bigarré très altérés des niveaux intermédiaires (120 à 129 mètres), sont remplacés par des copies en grès de Lichtenberg (carrière de Rothbach).

Pourquoi un nouveau chantier ?

Photo aérienne de la flècheÀ l'automne 1999, la chute d'éléments de décor sculpté et des pertes de matière issues de grès altérés, amène la Fondation de l'Œuvre Notre-Dame à commander une campagne photogrammétrique par hélicoptère. Un échafaudage avec pare-gravois, aussi esthétique que possible, est mis en place (janvier 2000) en épousant les formes de la flèche et avec une prise au vent réduite.

 

 

 

Flèche échafaudéePlusieurs études et observations sont réalisées pour établir un bilan sanitaire de la flèche. Elles incluent :

  • des cartographies pierre à pierre des maladies affectant les grès
  • des cartographies des différentes natures de grès en place, pierre d'origine et des différentes restaurations
  • un état des lieux des ouvrages métalliques et du paratonnerre
  • un bilan de l'état de conservation du béton armé mis en œuvre en 1930 et du comportement sismique des structures
  • un projet de couverture en plomb.

Ces études aboutissent à un constat partagé :

  1. Différentes pathologies sur un des escalier de la flècheSur les grès, un bilan des altérations par type et nature de grès montre d'une manière générale une bonne conservation des grès bigarrés d'origine de couleur jaune, encore très présent sur la flèche. Une exception subsiste dans les parties hautes, reconstruites plusieurs fois, suite aux dégâts de la foudre et du tremblement de terre. Les grès de restauration utilisés à compter du XIXe siècle présentent des dégradations plus importantes, notamment le grès gris employé dans les années 1930.
  2. Les facteurs à l'origine des dégradations sont de plusieurs ordres avec comme principaux acteurs les phénomènes mécaniques de l'action du vent, des secousses sismiques et de la foudre. Les altérations chimiques proviennent de l'eau qui transporte les sels et les polluants atmosphériques. Les contraintes climatiques fatiguent les grès par la dilatation et la contraction thermique ainsi que le gel. La corrosion des agrafes métalliques impacte les grès.
  3. Le béton armé présente des armatures corrodées avec éclatement et une carbonatation (réduction de son pH provoquant son instabilité).
  4. Le corset métallique qui maintient la croix en pierre, sert de paratonnerre et assure la stabilité de la partie sommitale. Il montre des phénomènes de rouilles et d'usures, de dilatations et de retraits ainsi qu'une faiblesse au niveau des assemblages par boulons en fer forgé.
  5. L'étude sismique relève l'absence de continuité verticale entre les armatures de la croix et le lanternon renforcé par du béton armé.

 

Les interventions, mars 2003 à septembre 2004

Les travaux de la flèche sont répartis entre la Fondation de l'Œuvre Notre-Dame et des entreprises privées, en fonction de la nature des interventions. Les travaux de pierre de taille et de conservation (sauf pour le lanternon et les acclamations) sont attribués à la Fondation. La réfection du paratonnerre, la reprise des éléments métalliques (croix et ceintures de renfort), les renforts de béton, les couvertures plomb et le renfort antisismique sont affectés à des entreprises extérieures mandatées par l'État, la Fondation de l'Œuvre Notre-Dame est alors conducteur d'opération.

Le lot pierre de taille

Les ateliers de la Fondation de l'Œuvre Notre-Dame sont intervenus sur environ 500 pièces en restauration dont 317 éléments traités par incrustements (20 m3 de grès). L'état de dégradation de ces pierres n'a pas permis leur traitement en conservation. Les éléments remplacés dans leur totalité sont :

Baldaquin avant restauration

 
 
  • un bras et une fleur de lys de la croix sommitale en grès de Champenay
  • deux pointes de bouton couronnant le lanternon, datant du XVIIe siècle (Jean-Georges Heckler)
  • 104 balustrades (simples et doubles) dont les 70 balustrades en grès gris de 1930
  • 18 couronnements de balustradeBaldaquin après restauration
  • 43 poteaux moulurés dont trois avec bases
  • trois éléments de remplage
  • deux baldaquins faisant partie de la structure des escaliers et comprenant deux marches
  • deux paliers avec consoles et trois couronnements d'escalier

Les pièces architecturales restaurées par des incrustements sont :

  • 147 ressemelages des marches des escaliers tournants
  • 30 recollages d'éclats de grès dus à la corrosion des scellements (balustrades, poteaux, etc.)
  • 170 greffes sur des balustrades, piliers, corniches, couronnements, etc.

Les joints ont été refaits au plomb et coulés à l'ancienne. Cette technique a nécessité dix tonnes de plomb. L'arrimage et le scellement des pièces ont requis plus d'une tonne de fer pur. Ce choix de fer pur, martelé à la main pour les parties apparentes, s'est basé sur son oxydation superficielle sans dilatation afin de supporter les conditions extrêmes de la flèche.

 

 

Le lot conservation des grès

Plus de 250 pièces en grès d'origine et de restauration ont été conservées sur la flèche, dans le respect du protocole d'intervention réalisé par la Fondation et l'ACMH. Ces pièces représentent environ 320 m2 de surface concernée.

Les actions de conservation ont porté sur :

  • le nettoyage des croûtes noires par micro abrasion et par compresses chimiques
  • le brossage et le nettoyage à l'eau claire des dépôts peu agglomérés
  • l'injection de coulis pour colmater les fissures
  • la pose d'aiguilles en fibre de verre, sur 30 éléments, afin de consolider des pièces fissurées
  • le traitement par passivation (application d'un film passif artificiel ralentissant la corrosion) des fers de scellement
  • Intervention en conservation, dessalementle dessalement par application de compresses
  • la mise en œuvre de solins pour favoriser les ruissellements
  • l'application de patine artificielle au moyen de pigments naturels, pour respecter la polychromie des grès avec les greffes
  • la reminéralisation à l'aide de silicate d'éthyle dans le but de consolider certains grès
  • l'hydrofugation de certaines pièces soumises aux intempéries directes (croix, balustrades, ceintures et boutons de Jean-Georges Heckler, etc.)

Des conservateurs spécialisés venus d'Italie ont conservé (reconstitution au mortier des lettres, consolidation, etc.) les huit bas-reliefs ou inscriptions protectrices (acclamations) de la flèche.

Les autres corps de métier

Les fers du corset sommital ont été entièrement déposés et traités par galvanisation. Ils sont ré-épaissis au niveau de la croix pour pallier la corrosion extrême constatée sous l'effet de la rouille. Un joint est interposé entre le métal et le grès au niveau des appuis des sept cerclages. Les boulons en fer forgé corrodés, sont intégralement remplacés par des boulons en inox.

La réfection du paratonnerre s'est traduite par l'insertion dans la partie haute de la flèche d'un dispositif de renfort parasismique : une pointe et deux rubans de cuivre raccordés à la prise de terre.

Le renfort en béton des années 1930 est purgé, les éclats du béton réparés avec un mortier compatible. Enfin le béton est ré-alcalinisé sous couvert de test d'efficacité (mesure par un laboratoire du pH). Un complément du système préventif antisismique a été réalisé en reliant le béton armé et le corset métal de la croix.

Les revêtements en plomb existants ont été remplacés et complétés sur toutes les surfaces horizontales. Ils sont d'une épaisseur de 3 mm et posés sur un glacis préparatoire. Les zones concernées sont :

  • le niveau supérieur du lanternon qui met hors d'eau les renforts en béton
  • les différents niveaux de planchers horizontaux et paliers d'escaliers et le dessus des voûtes.