Hypothèse de restitution des étapes de construction de la cathédrale de Strasbourg, vers 1050, crédit : F.OND, 3D Stéphane Potier - Inventive studio
Hypothèse de restitution des étapes de construction de la cathédrale de Strasbourg, vers 1050, crédit : F.OND, 3D Stéphane Potier – Inventive studio

L’an 1015, marque le début de la construction de la cathédrale de Strasbourg. Sous la direction de l’évêque Werner de Habsbourg et avec le soutien d’Henri II, elle deviendra l’une des plus imposantes églises du XIe siècle.

Des Romains aux Ottoniens

L’histoire de la cathédrale de Strasbourg se mêle intimement à celle de la cité elle-même. Dès les premières années du règne de l’empereur Tibère vers l’an 15 après J.-C., Strasbourg-Argentorate prospère. Cette prospérité s’intensifie avec l’arrivée de la VIIIe légion Auguste à la fin du premier siècle de notre ère. La présence militaire se maintient jusqu’aux débuts du Ve siècle, et la découverte de quelques d’objets suggère l’existence d’une modeste communauté chrétienne dès le IVe siècle après J.-C.

Évocation du camp légionnaire de la VIIIe légion Auguste de Strasbourg-Argentorate (IIe -IIIe siècles après J.-C.)
Évocation du camp légionnaire de la VIIIe légion Auguste de Strasbourg-Argentorate (IIe -IIIe siècles après J.-C.)

L’origine de la cathédrale primitive demeure un mystère archéologique, car aucun vestige ne permet d’en déterminer l’emplacement initial. Un premier édifice, construit en bois sous Clovis en l’an 510, est évoqué dans la Chronique de Strasbourg de Jacob von Kunigeshofen. En 728, l’évêque Remi consacre le maître-autel à Marie, marquant ainsi la première référence d’une cathédrale dédiée à la Sainte Vierge. Son testament de 778 évoque également la construction d’une crypte.

Strasbourg en l’an 1000

À partir du Xe siècle, la dynastie des rois et empereurs ottoniens règne sur le royaume de Germanie. Elle s’approprie la partie orientale de l’Empire romain d’Occident, qui deviendra à l’époque des Croisades, le Saint-Empire romain germanique. L’Alsace, disputée par le roi de France après la chute de la dynastie carolingienne, rejoint ce nouvel empire.
Strasbourg, la « Cité des Carrefours », devient un atout stratégique majeur dans la région, soutenue par les empereurs germaniques soucieux de consolider leur domination. Les évêques gagnent en influence au sein de l’Empire et obtiennent des droits de justice sur la Ville et accèdent à la dignité comtale.

L’évêque Werner de Habsbourg

En l’an 1001, Werner, membre éminent de la puissante famille des Habsbourg, est sacré évêque de Strasbourg par l’empereur Otton III. L’année suivante, l’ecclésiastique soutient l’élection du roi Henri II, qui aspire au titre impérial. Werner s’attire alors la colère d’Hermann II, duc de Souabe et d’Alsace, également prétendant au trône. En réponse, les armées du duc s’emparent de la cité, pillent et réduisent en cendres la cathédrale.
En témoignage de la loyauté de Werner et afin de réparer les dommages infligés à la cathédrale, Henri II lui octroie en 1003 l’abbaye de Saint-Étienne (à Strasbourg), ainsi que l’ensemble de ses revenus. En 1014, devenu empereur, Henri II concède à Werner, l’abbaye de Schwarzach (en Bade) pour soutenir son projet de construction d’une nouvelle cathédrale.

La construction de la première cathédrale romane

Le début de la construction de la première cathédrale romane (ou ottonienne), est mentionné dans les Annales de Marbach, rédigées au XIIe siècle : Anno domini m.x.v. monasterium sancte Marie in Argentina surgit primo a fundatione sua », traduit par « Année du Seigneur 1015 ; le monastère (Münster : cathédrale) de Sainte-Marie s’éleva pour la première fois de ses fondations ».

Les fondations

Les dimensions de la cathédrale ottonienne sont spectaculaires pour l’époque. En effet, les premiers sondages menés en 1666 par l’architecte de l’Œuvre Notre-Dame Hans Georg Heckler, révèlent que les fondations de 1015 ont été réutilisées lors de la construction de l’actuel édifice. L’emprise au sol de la cathédrale de Werner et de la cathédrale contemporaine sont identiques. D’autres campagnes de fouilles conduites au XIXe et XXe siècle par les architectes Félix Fries en 1835 et Johann Knauth en 1907-1908, puis par les archéologues et intellectuels Étienne Fels en 1959, Jean-Jacques Hatt, François Pétry et Erwin Kern en 1967-1972 ont contribué à étoffer les connaissances sur cette première cathédrale romane.

La cohérence manifeste de l’implantation des fondations suppose l’utilisation d’un système de tracé géométrique, de lignes directrices qui ont servi de trame, de plan à la construction. Cette hypothèse est appuyée par la présence dans la bibliothèque personnelle de l’évêque Werner du traité De Geometrica, attribué à Boèce ou à un pseudo-Boèce.

La nature des sols a imposé l’emploi de pieux de chêne (ou d’aulne) effilés pour renforcer et stabiliser le sol argileux sous les fondations, et procurer une assise solide à la construction de la cathédrale. Les fondations en moellons de grès et calcaire atteignent une hauteur de 5 et 6 mètres, ce qui suggère que de haut murs étaient prévus dès l’origine de la construction.

Hypothèse de restitution

Taille décorative en « arêtes de poisson » sur un des pilastres, crédit F.OND

La restitution de la cathédrale au-dessus des fondations demeure hypothétique. L’observation des fondations révèle que leur largeur et profondeur sont plus élevées au niveau des travées nord et sud du narthex que sous le porche, suggérant déjà l’existence de deux tours à l’époque ottonienne.
En dehors des fondations, seuls quelques éléments de la première cathédrale romane sont encore visibles, comme un pilier d’angle (chapelle Saint-Jean) et deux grands pilastres (crypte). La nature du grès utilisé, associée à la taille décorative de leurs surfaces en « arêtes de poisson », confirment qu’ils datent du début du XIe siècle.

En 2015, à l’occasion des célébrations du millénaire des fondations de la cathédrale de Strasbourg, les artisans de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame ont conçu une maquette en pierre, de la cathédrale de Werner, à l’échelle du centième. Elle est exposée dans la galerie du chevet.

Maquette en pierre, conçue par les artisans la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame, de la cathédrale de Werner, crédit : F.OND

Afin de proposer une restitution cohérente de l’édifice, il est nécessaire de rechercher des similitudes avec les églises et cathédrales contemporaines. 

L’abbatiale de Limburg-an-der-Haardt ou Sainte-Marie de Mittelzell offrent des indications sur l’apparence que pouvait revêtir la cathédrale romane de Strasbourg.

L’édifice ottonien, achevé vers 1045-1050 (après le décès de l’évêque en 1028), mesure 110 mètres de long et son imposante nef atteint une hauteur de 27 mètres. Elle surpassait, au début du XIe siècle, les autres édifices rhénans. La nef était divisée en 9 ou 11 travées, séparées par des colonnes ou des piliers. Les deux collatéraux et la nef étaient plafonnés et non voûtés. Elle s’ouvrait sur un transept au plafond charpenté. Sur le même plan que le transept actuel, ce dernier était flanqué d’une abside nichée au sein d’un massif carré. Deux chapelles à deux niveaux jouxtaient un chevet surmonté d’une tour. À l’arrière de l’abside, dans le prolongement de la cathédrale, était situé le cloître, qui servait alors de résidence aux chanoines.

Témoin de la grandeur et du savoir-faire des bâtisseurs, la cathédrale ottonienne de Strasbourg transcende son statut d’édifice religieux pour incarner l’importance stratégique de la « cité des carrefours ». Les incendies qu’elle subira tout au long du XIIe siècle occasionneront un changement de style, de la cathédrale ottonienne à la cathédrale romane.