Strasbourg en l'an mil
Sous l'égide des rois et empereurs de la dynastie ottonienne, le royaume de Germanie s'approprie la partie orientale de l'empire romain d'occident. L'Alsace, disputée par le roi de France après la chute de la dynastie carolingienne, rejoint ce nouvel empire. Il sera nommé plus tard, à l'époque des Croisades, Saint-Empire romain germanique.
L'évêché de Strasbourg
Favorisée par les empereurs germaniques, désireux d'asseoir leur domination dans la région, la "cité des carrefours" a toujours constitué un précieux atout stratégique du pays rhénan.
Les évêques accèdent à la dignité comtale, et obtiennent le droit de justice sur la Ville. Les sièges épiscopaux, dont celui de Strasbourg, accroissent leur influence au sein de l'Empire.
L'évêque Werner de Habsbourg
En 1001, un membre de la puissante famille des Habsbourg, Werner est sacré évêque de Strasbourg par l'empereur Otton III. En 1002, Werner participe activement à l'élection du roi Henri II, et s'attire ainsi l'ire du duc de Souabe et d'Alsace Hermann II, rival de ce dernier. Les troupes du duc prennent la ville d'assaut et pillent la cathédrale, avant de la détruire par le feu.
Bénéficiant des faveurs du roi Henri II (empereur à partir de 1014), l'évêque Werner entreprend l'édification d'une nouvelle cathédrale. Werner est un homme de culture et grand amateur de géométrie. Il lègue plusieurs manuscrits importants à la bibliothèque de la cathédrale. L'empereur soutient la construction de la cathédrale par des dons importants dont le legs des abbayes de Saint-Étienne à Strasbourg et Schwarzach sur la rive droite de l'évêché.
L'édification de la cathédrale romane
La date de 1015
La date du début de la construction de la cathédrale figure dans une ancienne chronique, rédigée au XIIe siècle
« Anno Domino 1015, Monasterium Sancte Marie in Argentina surgit primo a fundatione sua ».
« Année du Seigneur 1015 ; le monastère (Münster : cathédrale) de Sainte-Marie s'éleva pour la première fois de ses fondations. » Annales de Marbach, XIIe siècle.
Le nouvel édifice s'élève très probablement sur les ruines de la précédente église majeure (fabrica maioris ecclesie argentinensis).
Ses dimensions sont spectaculaires pour l'époque. Au moment de son achèvement la cathédrale de Strasbourg compte parmi les plus grandes églises de l'Empire. Elle figure la Jérusalem céleste sur terre mais symbolise autant le puissant pouvoir terrestre et clérical de l'évêque et son soutien impérial.
Les fondations
Les travaux d'implantation et de sous-œuvre entrepris sont donc millénaires. La cathédrale d'aujourd'hui, construit entre 1150 et 1439 s'élève au-dessus des fondations de la cathédrale romane.
L'existence des fondations romanes à différents endroits est révélée par les fouilles réalisées au XIXe siècle et au XXe siècle :
- 1835 par l'architecte Félix Fries
- 1907-1908 sous l'architecte Johann Knauth
- 1959 par Étienne Fels
- 1967-1972 par Jean-Jacques Hatt, François Pétry et Erwin Kern
La grande rigueur géométrique de ces fondations suppose un tracé régulateur. Cette hypothèse est soutenue par les connaissances de l'évêque Werner en matière de géométrie.
La nature des sols a nécessité l'emploi de pieux de chêne ou d'aulne effilés pour renforcer et stabiliser le sol argileux sous les fondations et pour leur offrir une assise solide. Les fondations en moellons ont une hauteur entre 4 et 7 mètres. En effet, l'importance des fondations dépend de la charge attendue, donc de la hauteur des murs soutenus.
L'observation des fondations s'avère primordiale pour résoudre la controverse autour de la reconstitution de la façade romane, à tour unique centrale ou à deux tours ? La largeur et la profondeur des fondations sont plus élevées au niveau des travées nord et sud du narthex que sous le porche, ce qui suppose déjà l'existence de deux tours à l'époque ottonienne.
La cathédrale de Werner
Les différentes fouilles, études et traces subsistantes sur la cathédrale actuelle permettent une restitution (plus ou moins hypothétique) de l'édifice. En effet, en dehors des fondations, il subsiste deux parements dans la crypte actuelle ainsi que deux pilastres (dans la chapelle Saint-Jean et à l'extérieur du mur est du bras nord du transept) du début du XIe siècle. Les surfaces montrent le même traitement à la pointe et une taille décorative aux stries parallèles.
L'édifice ottonien, probablement achevé vers 1050 (après la mort de l'évêque en 1028) mesure près de 100 m de long. La nef comportait 11 ou 12 travées, bordée très probablement par des colonnes. La nef et les deux collatéraux étaient plafonnés et non voutés. La nef s'ouvrait sur un transept continu et très saillant, auquel était accolée une abside semi-circulaire au cœur d'un massif rectangulaire. Au-dessus du chevet s'élevait une tour massive carrée et jouxtée de deux chapelles superposées.
Derrière l'abside, dans le prolongement de la cathédrale, est situé le cloître, à cette époque encore la demeure des chanoines.