La tour de la croisée du transept de la cathédrale de Strasbourg fusionne avec habileté les éléments architecturaux d’origine du XIIe siècle avec les ajouts néo-romans du XIXe siècle. Le chantier de conservation-restauration de la galerie romane met en lumière l’utilisation d’outils et de techniques qui vise à préserver l’authenticité de cette partie de la cathédrale de Strasbourg.

Contexte historique

La partie inférieure de la tour de la croisée du transept de la cathédrale de Strasbourg, édifiée à la fin du XIIe siècle, présente des arcatures en plein cintre, appareillées et soutenues par des colonnettes. Cette structure octogonale dissimule un imposant rein de voûte, construit en briques, destiné à contrebuter la coupole qui recouvre le chœur.

Le socle en grès appareillé sur lequel repose cette arcature assure la transition du plan carré au plan octogonal de la tour. Cette transition créée des talus qui reçoivent les eaux de l’ensemble de la toiture de la tour de la croisée du transept.

La partie néo-romane, érigée entre 1878 et 1879, sous la direction de l’architecte Gustave Klotz, coïncide avec les travaux de restauration de la galerie romane. Ces travaux impliquaient de remplacer des colonnettes et de poser un sol en dalles de grès dissimulant en partie leurs bases. En 1873, l’architecte abaisse les toits des transepts pour mettre en valeur la galerie romane.

Des problèmes d’étanchéité apparaissent pendant la construction de la tour. Lorsque Gustave Klotz retire les balustrades au pied de la toiture pyramidale tronquée, l’eau n’est plus dirigée vers les gargouilles mais s’infiltre et ruisselle le long et à l’intérieur du péristyle de la galerie romane.

En 1935, des bases et des chapiteaux des arcatures de la galerie romane sont remplacés. La tour de la croisée du transept est restaurée entre 1988 et 1992 suite aux dégâts causés par le bombardements alliés du 11 août 1944.

Le chantier de conservation-restauration

La galerie romane de la tour de la croisée du transept échafaudée, crédit : F.OND, 2006
La galerie romane de la tour de la croisée du transept échafaudée, crédit : F.OND, 2006

2002-2003, interventions préalables

Les travaux de restauration commencent en 2002 et 2003 par la mise en place du dispositif d’assèchement de la coupole de la croisée. C’est-à-dire un décroûtement de la chape béton sur la face extérieure de la coupole, en partie basse. En parallèle, des abat-sons sont installés dans les baies de la tour de la croisée du transept.

2005-2006, des études à la taille de pierre

Le Projet Architectural et Technique (PAT) est validé en 2005. L’année suivante est consacrée à l’installation de l’échafaudage, aux relevés et à la taille aux ateliers de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame. En outre, un laboratoire spécialisé a prélevé et analysé un certain nombre d’échantillons afin de mieux appréhender les pathologies, les matériaux mis en œuvre et ainsi affiner les datations de constructions et de restaurations. Ces analyses ont en autre révélé la présence de polychromies. L’ensemble de ces données a permis la réalisation de cartographies des pathologies, constats et interventions.

2007-2009, au cœur du chantier

Avant le début des travaux, l’atelier de sculpture a relevé l’ensemble des marques lapidaires (dessin à l’échelle, photographies et cartographie). L’équipe chantier a déposé les colonnettes altérées à remplacer par des copies. La reprise des charges s’est effectuée grâce à un étaiement en bois conçu par le menuisier et par une poutrelle métallique installée sur le côté sud-est pour soutenir les corniches. Les colonnettes d’origine sont conservées au dépôt lapidaire de la Fondation.

Les artisans ont retiré l’enduit du mur en brique d’origine qui était trop altéré pour être conservé. Après quelques essais de tenue et d’aspect, ils ont appliqué un nouvel enduit à base de chaux aérienne. L’ancien enduit sur le côté ouest est maintenu en l’état. Cette zone abritée et très peu affectée est en effet préservée comme zone témoin pour l’ensemble des matériaux.

Une chape en béton romain a remplacé les dalles de grès posées au XIXe siècle. Elle s’inspire de celle de la cathédrale de Worms édifiée entre 1130 et 1181. 

Au-delà de ces interventions en restauration, de nombreuses opérations de conservation ont lieu.
Elles ont porté sur l’élaboration d’un protocole de dessalement adapté puis sur plusieurs essais de nettoyage chimiques et mécaniques de croûtes noires, de fixation de détachement en plaque et d’atténuation des patines noires naturelles et artificielles. L’Architecte en chef des Monuments Historiques (ACMH) Christiane Schmucklé-Mollard, a ensuite validé les protocoles définitifs. La campagne de conservation a inclus le traitement des fissures, microfissures et fractures, l’atténuation de la couverture biologique, la réalisation des solins, l’application de patines d’harmonisation, la réfection des joints en mortier de chaux et la reminéralisation d’une partie des grès.

La polka, redécouverte d’un outil du Moyen Âge

Colonnette après restauration, report du tâcheron d’origine : F.OND
Colonnette après restauration, report du tâcheron d’origine : F.OND

La polka est « redécouverte » en 1998 par les artisans de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame, grâce à de minutieuses observations de traces laissées sur les parements d’appareil.

Cet outil, pourtant utilisé pour la taille des pierres tendres, fait son apparition à Strasbourg vers 1150, et disparaît vers 1349 pendant la « grande peste ». Au XIXe siècle, lors des travaux de restauration, l’aspect de taille de la polka est alors imité par celui de la laie dentée.

Les marques laissées par la polka sont visibles sur divers éléments architecturaux, notamment les colonnettes de la galerie romane. Lors de la restauration de cette dernière, les artisans, tant les tailleurs de pierre que le forgeron, se sont réappropriés cet outil.

Les artisans ont reproduit les anciennes engravures des toitures du transept sur les pierres restaurées tout comme l’impact d’un boulet de canon français tiré de la Zollschantz, près de Kehl en 1678.

Impact d'un boulet de canon français tiré de la Zollschantz, près de Kehl en 1678, crédit : F.OND
Impact d’un boulet de canon français tiré de la Zollschantz, près de Kehl en 1678, crédit : F.OND

Quelques chiffres

  • 56 colonnettes au total (sur la galerie)
  • 21 colonnettes remplacées en copie exacte
  • 11 colonnettes de la fin du XIIe siècle traitées en conservation dont une, a la particularité d’avoir un fût du XIXe siècle et un chapiteau du XVIsiècle
  • aucune intervention sur les 6 colonnettes du XIIe siècle situées côté ouest
  • 18 colonnettes du XIXe siècle traitées en conservation
  • 183 pièces taillées pendant l’année 2006 par 14 tailleurs de pierre
  • 14,68 m3 de pierre pour la restauration
  • 90 heures en moyenne pour tailler une colonnette.

Des entreprises privées sont aussi intervenues sur le chantier pour les travaux de couverture en plomb et cuivre.

Le chantier de conservation-restauration de la galerie romane de la tour de la croisée du transept de la cathédrale de Strasbourg est le témoin d’une démarche de préservation non seulement des éléments d’origine mais aussi des restaurations antérieures, de l’usage de techniques traditionnelles et d’un outil de taille de pierre oublié depuis le Moyen-Âge : la polka.

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