La restauration de trois styles et techniques architecturaux : roman, gothique et du XIXe siècle et la conservation maximale de l’authenticité et les nombreuses traces de polychromies, illustrent l’efficacité de l’interdisciplinarité de ce chantier.

Contexte historique

La façade ouest du bras sud du transept échafaudée, crédit, : F.OND, 2009
La façade ouest du bras sud du transept échafaudée, crédit, : F.OND, 2009

La façade ouest du bras sud du transept de la cathédrale de Strasbourg se distingue par deux périodes de construction : le style roman au nord (vers 1180-1190) et le style gothique au sud (vers 1220-1230).
Le maître d’œuvre du chœur abandonne la construction romane aux couvrements charpentés au profit d’un couvrement voûté du transept. Hermanus Auriga, maître d’œuvre l’évêque Conrad II pourrait, selon certains historiens, être l’un des constructeurs de la partie romane et sans doute de l’extension de la ville de Strasbourg.
Les tourelles superposées (heptagonale et octogonale) situées à l’angle du transept sud et de la nef, sont érigées vers 1240, en même temps que la première travée de la haute nef. Elles sont en partie restaurées par l’architecte Gustave Klotz entre 1878 et 1879 suite aux dégâts de guerre de 1870. La façade ouest du bras sud du transept est ceinte d’un réseau de balustrades (ou garde-corps) ajouré de style gothique flamboyant, restauré entre 1897 et 1899 par l’architecte Ludwig Arntz.

La façade ouest a fait l’objet de très peu d’interventions. L’ensemble est riche en marques lapidaires, en aspects de taille et autres traces archéologiques (saignées, trous de boulin, etc.). Il présente de nombreuses traces de polychromie, témoins d’anciens décors peints sur les maçonneries de la cathédrale. Les plus visibles sont situées dans la partie supérieure du mur et sur les frises romane et gothique. Des traces sont aussi présentes dans les ébrasements des baies ainsi que sur la tourelle heptagonale.

Le chantier de conservation-restauration

En 1983, une intervention d’urgence a conduit à la dépose, par les équipes de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame, du grand pinacle haut de 5,40 m qui couronnait le de balustrade centrale. Sa copie est sculptée en 2004 et posée au cours du chantier en 2010.

2007-2009, les études

Les travaux débutent par la rédaction de l’étude préalable en 2008 puis du Projet Architectural et Technique (PAT) en 2009, tous deux par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC).

En 2008, l’échafaudage est installé et le bureau d’études termine les relevés, les plans et les fiches de taille commencés en 2007. Cette même année des prises d’échantillons sont prélevées et analysées. Des cartographies détaillées des altérations et des polychromies sont établies. Les ateliers de taille et de sculpture réalisent toutes les copies des pièces à restaurer, notamment les estampages et les restitutions des têtes de gargouilles manquantes pour les deux tourelles ainsi que l’ensemble du réseau de balustrades qui couronnent la façade ouest.

2009-2010, au cœur du chantier

L’atelier de sculpture a relevé les 208 marques lapidaires (repérage géographique et photographies) identifiées sur l’ensemble du chantier. Elles sont intégrées à la base documentaire de la Fondation.

LA TOURELLE OCTOGONALE

Le bombardement du 11 août 1944 a endommagé le couronnement de la tourelle octogonale, édifiée (1878-1879) par l’architecte Gustave Klotz. Elle est couverte, à partir de 1945, d’un carton bitumé.
La partie sommitale a fait l’objet d’une restitution complète grâce aux nombreux documents laissés par Gustave Klotz, conservés à la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame. L’appareil choisi pour la restauration est celui de la fin du XIXe siècle.

Les tailleurs de pierre ont restauré les cinq dernières assises de la partie sommitale du couronnement tandis que les sculpteur·rices cinq des huit gargouilles et la statue du chien assis du fleuron de terminaison. L’architecte en chef des Monuments Historiques (ACMH) a validé les modèles réalisés d’après les photos du XIXe siècle et des dessins pour le chien. Ils ont aussi estampé l’ensemble des gargouilles (existantes et restituées) et le chien.

L’atelier de conservation est intervenu sur les trois gargouilles encore existantes et un grand nombre de pièces dans le but de préserver au maximum les restaurations du XIXe siècle.

À l’occasion de la visite des conjoint·es des chef·fes d’État aux ateliers de la Fondation lors du sommet de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) le 4 avril 2009 à Strasbourg, les artisan·es ont gravé une inscription à l’intérieur du couronnement de la tourelle octogonale pour commémorer cet événement.

LA TOURELLE HEPTAGONALE

La tourelle heptagonale, l’un des derniers clochetons partiellement authentiques de la cathédrale, possède un appareil en majorité d’origine. La restauration de sa partie sommitale date du XIXe siècle, et quelques éléments de gâble proviennent d’une intervention au XVIIIe siècle.

La récente restauration a nécessité la dépose complète de la partie sommitale. Les artisans de la Fondation ont privilégié l’utilisation de pierres d’origine lors de sa reconstruction et rétabli les boutons manquants en s’inspirant de ceux d’autres tourelles et des photographies anciennes de la cathédrale. Ils ont aussi taillé de nombreuses greffes pour conserver le maximum d’éléments anciens.

Les sculpteur·rices ont estampé les gargouilles et le chat de Ludwig Arntz (1897), situé au sommet de la tourelle, afin d’enrichir la gypsothèque. Ils ont complété par une greffe le museau d’une des gargouilles et restitué deux têtes d’après les photos du XIXe siècle, après la validation des modèles par l’ACMH.

L’atelier de conservation est intervenu pour stabiliser les trois gargouilles existantes.

Lors de la restauration du couronnement de la tourelle, l’équipe chantier a glissé à l’intérieur de la tourelle une boîte destinée aux historien·nes et restaurateur·trices du futur. Cette boîte renferme les fiches de taille et le plan de pose de la tourelle, des pièces de monnaie et … une bouteille de bon vin.

LA FAÇADE OCCIDENTALE

La façade occidentale a subi d’importantes altérations qui ont nécessité la restauration de balustrades, mains courantes et corniches. Les restaurations antérieures étaient visibles sur certaines de ces dernières. En effet, au XIXe siècle, Ludwig Arntz avait mis en œuvre des techniques d’empiècements en queue d’aronde ou en crossette. Les tailleurs de pierre ont respecté des méthodes lors de la reproduction fidèle des pièces.

Le glacis du contrefort de la croisée situé à l’angle de la tourelle heptagonale et du mur ouest est un élément d’origine (vers 1180-1200). Suite à un entre la conservation des originaux et la préservation de l’ensemble du mur situé sous le larmier de ce glacis, il est remplacé. En effet, cet élément de larmier était fortement altéré et il était capital de lui restituer sa fonction et préserver ainsi les parties inférieures.

Le glacis du contrefort situé à l’angle de la tourelle heptagonale et du mur ouest a été remplacé en raison de graves altérations. Bien que d’origine (vers 1180-1200), il était crucial de lui restituer sa fonction afin de préserver les parties inférieures.

Le contrefort roman central a fait l’objet d’interventions en conservation pour préserver son authenticité. Ainsi, les engravures des anciennes toitures, les saignées en U et tous les parements d’origine sont maintenus.

Par ailleurs, ce chantier était aussi l’occasion de tester de nouveaux matériels et techniques comme le laser LIBS (Laser Induced Breakdown Spectroscopy) qui permet l’analyse sur site sans prélèvement ou le nettoyage au laser. L’ensemble du mur a fait l’objet de traitements en conservation : nettoyage, comblement des fissures et fractures, fixation des détachements en plaques, application de solins, ragréages, jointoiement ainsi que la consolidation des traces de polychromies.

LA FRISE ROMANE À BILLETTE ET LA FRISE À FEUILLAGE GOTHIQUE

Ces deux frises présentent de précieuses polychromies. Le processus d’élaboration du protocole d’interventions en conservation a débuté par des analyses approfondies des pierres polychromes. Les échanges entre le LRMH (Laboratoire de Recherches des Monuments Historiques), les laboratoires et entreprises de conservation privées ont permis d’établir un protocole rigoureux à même de respecter l’authenticité de cette partie de la cathédrale tout en stabilisant les altérations.
Les sculpteur·rices ont toutefois remplacé un module et un demi élément très altérés de la frise gothique. Ils les ont sculptés après avoir réalisé l’estampage d’un module d’origine.

« Pierre aux deux personnages »

Cette pierre est située sur la tourelle heptagonale. Elle date du XIIIe siècle et présente une scène avec deux bustes d’homme. Elle a été traitée en conservation puis estampée.
Les traitements en conservation ont consisté à stabiliser les nombreuses altérations, à assainir le grès et à rendre à l’élément sa lecture et sa cohésion d’ensemble (notamment dans la partie supérieure recevant les eaux de pluies).
Les pathologies observées étaient les nombreuses fissurations et éclatements dus à la cristallisation de sels dans le matériau, les exfoliations avec perte de matière, le gypse en surface (croûtes noires) et dans une moindre mesure un phénomène de desquamation.

Depuis 2010, une « casquette » en cuivre et plomb posée par une entreprise privée, assure une protection supplémentaire.

Quelques chiffres

Les artisans ont remplacé 164 pièces, soit environ un volume 16 m3 :

  • 13 balustrades
  • 11 mains courantes
  • 27 corniches ou éléments de corniche
  • 11 éléments de gâble
  • 6 boutons de gâble
  • 12 talus de contrefort ou appareils en talus
  • 1 collerette de fleuron
  • 1 fleuron avec crochets
  • 1 chien assis
  • 27 parements ou éléments de parement
  • 14 greffes
  • 4 bouchons de boudin
  • 4 appuis de baie
  • 7 glacis
  • 2 éléments de frise à feuillage gothique
  • 16 éléments du clocheton heptagonal
  • 8 éléments du mur.

Ce qui équivaut à

  • env. 2 300 heures pour les relevés et les études
  • env. 10 400 heures pour la taille de pierre
  • env. 3 800 heures pour la sculpture
  • env. 3 8700 heures pour la conservation

La conservation-restauration de la façade ouest du bras sud du transept, marquée des styles roman, gothique, et du XIXe siècle, est le fruit d’une collaboration exemplaire entre les différents corps de métier. Les collections de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame ont joué un rôle important et permis de préserver l’authenticité remarquable de ce monument.

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