Hypothèse de restitution des étapes de construction de la cathédrale de Strasbourg, vers 1340.
Hypothèse de restitution des étapes de construction de la cathédrale de Strasbourg, vers 1340, crédit : F.OND, 3D : Stéphane Potier – Inventive studio

La construction du massif occidental de la cathédrale de Strasbourg, véritable chef-d’œuvre de l’architecture gothique, commence en 1276. Trois générations de la même famille participent à son édification. Le maître d’œuvre Erwin dit de Steinbach érige les parties basses de l’édifice, son fils Johannes puis le neveu de ce dernier Gerlach poursuivent la construction jusqu’au niveau de la plateforme.

La reconstruction de la façade occidentale

La volonté de reconstruire le massif occidental de style roman émerge dès la fin de la construction de la nef. En 1275, l’évêque Conrad III de Lichtenberg émet quatre lettres d’indulgences en faveur de « l’église de Strasbourg », qui, « avec son décor varié semblable aux fleurs de mai, s’élève dans les hauteurs, attire de plus en plus les regards des visiteurs et les enchante par ses doux agréments ». La démolition de l’ancienne façade commence, et en 1276, les fondations anciennes sont renforcées pour soutenir le nouveau massif beaucoup plus imposant. Le 25 mai 1277, jour de la saint Urbain, l’évêque Conrad pose la première pierre de cette nouvelle façade.
Aux alentours des années 1280-1290 la gestion de l’Œuvre Notre-Dame est transférée du chapitre à celle du magistrat de la Ville.

L’architecture du massif occidental

Dessin B de la cathédrale de Strasbourg, élévation de la moitié gauche nord de la façade occidentale
Dessin B de la cathédrale de Strasbourg, élévation de la moitié gauche (nord) de la façade occidentale, crédit F.OND, photo : Mathieu Bertola, Musées de la Ville de Strasbourg

Le massif occidental s’inspire de l’un des plus beaux dessins d’architecture sur parchemin conservé à Strasbourg, dit « dessin B ». Il est exécuté vers 1260-1270, par le maître d’œuvre des dernières travées de la nef ou selon certaines sources par Erwin. Ce dernier, mentionné pour la première fois en 1284 (dans un contrat pour les Hospices Civils), érige les parties basses de la façade en style gothique jusqu’au premier étage de la tour sud. Le mur porteur de la façade, en blocs de grès massifs, est doublé par une paroi ajourée composée d’un réseau de meneaux, d’arcatures et de gâbles telle une « harpe de pierre ». Cette construction pousse à l’extrême le concept de double paroi apparue en France, et constitue une véritable innovation. Le chantier de construction de la cathédrale de Strasbourg devient un foyer créatif majeur.

Les trois portails

Les trois portails du massif occidental s’inscrivent dans le prolongement de la nef. Riches en décors et ornements, le portail central est orné de statues de prophètes, le portail nord met en scène les Vertus terrassant (par des lances) les vices sous leurs pieds, et le portail sud présente les Vierges sages et Vierges folles ainsi que les sculptures du Christ Époux et du Tentateur.

Les tympans racontent l’histoire du Christ, de son enfance sur le portail nord, à sa Passion et à sa Résurrection sur le portail central, pour finir par le Jugement Dernier sur le portail sud. Endommagées pendant la Révolution, toutes les voussures et une partie des tympans sont remplacées par des copies, au début du XIXe siècle.

L’étage de la grande rose

Au centre du premier étage s’ouvre la grande rose, l’une des plus grandes d’Europe avec un diamètre de 13,60 mètres. Son remplage à seize lancettes est intégré dans le mur porteur, tandis que son décor ajouré est situé sur le mur-rideau. Elle s’inspire de la rose du bras sud du transept de Notre-Dame de Paris, achevée quelques années auparavant.

Les tours de part et d’autre de la grande rose sont ornées d’immenses arcatures qui forment une véritable dentelle de pierre. En 1291, d’après la chronique de l’abbé Grandidier sur la cathédrale de Strasbourg , trois statues équestres sont posées dans les niches des contreforts de la façade, au niveau de la grande rose. Elles représentent les rois Clovis (466-511, premier roi baptisé des francs), Dagobert (vers 610-639, roi des francs et fondateur du diocèse) et le comte Rodolphe de Habsbourg (1218-1291, roi de Germanie depuis 1273 et protecteur de la ville), tous considérés comme bienfaiteurs de la Ville.

En 1298, un incendie provoque d’importants dégâts. Les encorbellements ont largement favorisé la propagation du feu d’une maison à l’autre (355 maisons sont détruites). Il atteint la toiture de la cathédrale, détruit l’orgue et fait fondre les cloches. 

Gravure de la mesure de l’encorbellement, crédit : F.OND
Gravure de la mesure de l’encorbellement, crédit : F.OND

Suite à cette catastrophe, le Magistrat de Strasbourg prend des mesures de prévention. Il interdit notamment les encorbellements trop importants et impose un écartement d’une largeur minimum de deux coudées (108 cm) entre deux maisons situées face à face. Afin que tous les habitants aient connaissance de cette largeur minimum, la mesure est gravée sur le mur d’un contrefort du bras sud du transept de la cathédrale, avec la mention Dies ist die Masz des Überhanges (ceci est la mesure de l’encorbellement).

Johannes succède à Erwin

Johannes, après la mort d’Erwin en 1318, achève le second étage du massif occidental avec le premier étage de la tour nord puis la grande rose. Il construit également au-dessus de celle-ci une galerie qui abrite des statues d’apôtres et de la Vierge qui assistent à l’Ascension du Christ. Détruites pendant la Révolution, elles sont remplacées à plusieurs reprises. Les statues actuelles, sculptées par Ferdinand Riedel, datent de 1910. Johannes érige également le deuxième étage de la tour sud (3e niveau du massif occidental) avec ses trois grandes baies surmontées de gâbles ainsi que les bases du deuxième étage de la tour nord car il décède en 1339. 

La cathédrale en 1318, à la mort d’Erwin, crédit : F.OND, 3D : Stéphane Potier – Inventive studio

L’épitaphe de la famille d’Erwin

Dans une petite cour au nord de la chapelle Saint-Jean se trouve l’épitaphe de la famille d’Erwin. Gravée en majuscules gothiques sur plusieurs pierres d’un contrefort, elle porte l’inscription suivante (traduite du latin) :
« Le 21 juillet de l’an du Seigneur 1316 est morte Husa, l’épouse de maître Erwin. Le 17 janvier de l’an du Seigneur 1318 est mort maître Erwin, administrateur de la fabrique de l’église de Strasbourg. Le 18 mars de l’an du Seigneur 1339 est mort maître Johannes, fils d’Erwin, maître d’œuvre de cette église. »

Épitaphe de la famille d'Erwin, crédit : F.OND
Épitaphe de la famille d’Erwin, crédit : F.OND

Les autres constructions

Erwin, en plus d’initier l’édification de la façade occidentale, est à l’origine de construction de la chapelle de la Vierge et de la nouvelle toiture de la tour de la croisée du transept.

La chapelle de la Vierge

À l’intérieur de la cathédrale, maître Erwin érige en 1316 la chapelle de la Vierge. Adossée au premier pilier nord de la nef, elle est reliée au jubé par une passerelle. Bien que détruite en 1682, des fragments de son entablement subsistent, dont l’un porte le nom d’Erwin en majuscules gothiques. Ces fragments sont conservés au musée de l’Œuvre Notre-Dame et sont consultables sur POP – Collections des Musées de France (base Joconde).

Un nouveau couronnement pour la tour de la croisée du transept

Vers 1320, la tour de la croisée du transept est sans doute couronnée d’une nouvelle coiffe en forme de bonnet d’évêque, appelée « la mitre ». Cette toiture est formée de huit pignons en grès de style gothique ornés de réseaux et de rosaces aveugles. Elle est surmontée d’une petite flèche terminée par une sculpture de la Vierge. La « mitre » sera détruite en 1759 lors d’un incendie. 

Gerlach va poursuivre les travaux de construction : la cathédrale de Strasbourg à deux tours.